Réalisateur particulièrement attaché aux figures féminines, Pedro Almodóvar (VOLVER, LA PIEL QUE HABITO) nous livre une nouvelle fois avec JULIETA un hymne à la femme, à ses sentiments profonds, ses blessures, et dissèque les relations mère-fille.
Le réalisateur, maintes fois récompensé pour ses œuvres à travers toutes les grandes cérémonies (Oscars, Cesar, Golden Globes, Goya …) présente à nouveau son film en compétition officielle au 69e Festival de Cannes 2016. JULIETA est l’adaptation de trois nouvelles écrites par Alice Munro. Comme ces histoires avaient toutes pour héroïne Juliette, il a suffi au réalisateur d’inventer une histoire, un fil conducteur, pour les relier entre elles et ainsi élaborer le scénario de son film.
Avec cette histoire, nous sommes plongés dans la vie de Julieta, une femme qui vit à Madrid. S’apprêtant à quitter la ville pour s’installer avec son compagnon Lorenzo au Portugal, elle va changer ses plans après des retrouvailles avec Beatriz, la meilleure amie d’enfance de sa fille Antía. N’ayant pas revu sa fille depuis de longues années, Julieta a de nouveau espoir de la retrouver. Elle lui écrit alors une lettre, dans laquelle elle lui livre ses peurs, ses doutes, ses regrets, et lui révèle les secrets qu’elle a gardés en elle pour la protéger.
JULIETA est un mélodrame d’autant plus émouvant que c’est une situation que malheureusement chacun peut être amené à vivre. L’éloignement ou la perte d’un être proche, le sentiment de culpabilité, l’incertitude de revoir un jour cette personne, et la lutte d’une mère pour survivre à l’éloignement ou la perte d’un enfant.
Les mères et les filles peuvent facilement s’identifier aux personnages de ce film, et s’imaginer dans la même situation. Dans cette histoire, Antía décide de partir et de s’éloigner de sa mère à l’âge de 18 ans. Pedro Almodóvar nous rappelle que l’âge de la majorité est celui de l’indépendance des enfants, qui ne sont plus sous la responsabilité de leurs parents, et sont donc libres de partir quand et où bon leur semble. De plus, une grande partie des jeunes de 18 ans obtiennent le baccalauréat cette année-là, et s’éloignent de la maison familiale pour poursuivre leurs études. Ces situations sont inévitables, et chaque parent est sans doute amené à les vivre un jour.
Comme les liens familiaux entre les membres d’une famille sont très forts dans la culture espagnole, il a fallu du temps à Pedro Almodóvar pour transposer en Espagne ce récit, qui dans le livre d’Alice Munro se déroule à Vancouver.
Le lien qui unit Julieta et sa fille Antía se montre tour à tour très fort, indestructible face aux épreuves de la vie ; puis extrêmement fragile lorsque survient la distance et la perte totale de contact entre les deux femmes. JULIETA témoigne de toute la complexité d’une relation mère-fille, où les liens du sang sont mis à l’épreuve face à la religion, la spiritualité et le sentiment de culpabilité. L’amour qui les lie est-il plus fort que tout ? Peut-on tirer définitivement un trait sur une personne, faire comme si elle n’avait jamais existé ? …
Si le film est donc très émouvant du point de vu relationnel, en revanche, il est regrettable qu’Almodóvar n’ait pas développé certains aspects en particulier de son récit, comme celui du fanatisme religieux, qui est d’autant plus un sujet d’actualité.
On aurait aimé également voir la suite de la relation entre la mère et sa fille ; le générique de fin arrive bien trop tôt, à un moment où l’on ne s’y attend pas, donnant malheureusement à JULIETA un goût d’inachevé.
La musique du film est signée Alberto Iglesias, avec qui le réalisateur collabore depuis une vingtaine d’années. Almodóvar voulait utiliser celle-ci pour servir de petites transitions afin d’accentuer les changements d’époque notamment. Pour cela, il a choisi de travailler sur les morceaux du compositeur japonais Toru Takemitsu qu’il a composés pour LA FEMME DES SABLES de Hiroshi Teshigahara, en les remaniant pour qu’ils soient sur le tempo de JULIETA.
Les morceaux joués sont délicats, pleins de mélancolie, avec une tonalité bien évidemment espagnole. Pour marquer la transition des époques, entre avant et après le départ de Antía, Pedro Almodóvar joue beaucoup sur les couleurs des murs et meubles de l’appartement dans lequel vit Julieta. Elles sont d’abord chaudes, chaleureuses et pleines de vies, puis lorsqu’elle se retrouve seule, sans nouvelles de sa fille, Julieta choisit de s’installer dans un logement terne, blanc, sans vie, à son image et humeur du moment.
Avec JULIETA, le cinéaste espagnol a choisi de s’entourer d’actrices avec lesquelles il n’avait encore jamais collaboré, à l’exception de Rossy de Palma, une fidèle de l’univers d’Almodóvar, et Susi Sànchez (vue dans LES AMANTS PASSAGERS, LA PIEL QUE HABITO).
Pour le rôle principal de Julieta, il a voulu dès le départ des actrices d’âge différent, expliquant ce choix par son manque de confiance dans les effets de maquillage pour vieillir une actrice. Ainsi, Adriana Ugarte incarne Julieta entre 25 et 40 ans, et Emma Suàrez l’interprète à partir de l’âge de 40 ans.
JULIETA est donc un film fort, intense, plein de véracité et d’authenticité, dont on ne ressort pas indemne. Un beau résultat, qui manque toutefois de quelques séquences supplémentaires à la fin.
JULIETA, sortie en France le 18 mai 2016.
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Article rédigé par Julie.