Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Zach Braff, c’est un acteur, réalisateur et scénariste américain belle gueule (on peut se permettre de le dire de suite, comme ça c’est fait), qui s’est fait remarquer avec la réalisation de son premier long-métrage en 2004 GARDEN STATE, puis a construit sa notoriété auprès du grand public pendant neuf ans dans la série télé SCRUBS. Du cinéma à la télévision, de réalisateur indépendant à acteur dans un rôle récurrent au petit écran, Zach Braff fait donc le grand écart avec, semble t-il, une certaine aisance.
Il lui faudra dix années pour accoucher de son second film comme réalisateur avec LE RÔLE DE MA VIE (titre original WISH I WAS HERE). Même si Zach Braff s’en défend en interviews, LE RÔLE DE MA VIE ressemble à s’y méprendre à une suite de GARDEN STATE.
Alors dix ans après, Zach Braff est-il toujours le type cool et l’incarnation même du cinéma indépendant qu’il semblait être avec GARDEN STATE en 2004 ? Peut-on utiliser les mêmes ressorts de la comédie dramatique en faisant fi du temps qui a passé ?
Là où GARDEN STATE racontait le retour chez lui d’un acteur paumé (incarné par Braff lui-même) alors que sa mère vient de mourir, LE RÔLE DE MA VIE met en scène Aidan (toujours Zach Braff dans le rôle principal) qui doit faire face aux difficultés financières de sa petite famille, et au cancer en phase terminale de son père. Aidan, père de famille lui-même et mari parfois maladroit, reste pourtant obnubilé par son rêve de devenir comédien dans un Los Angeles sans pitié.
Difficile dans les deux cas, de ne pas y avoir une forme de récit autobiographique, ou du moins largement inspiré du vécu et de l’expérience de Zach Braff. Quand il réalise GARDEN STATE en 2004 avec un petit budget et avec une jeune Natalie Portman au casting, il ne s’attend pas à un tel engouement critiques et à ce que son film rapporte quatorze fois sa mise de départ. À l’époque, Braff se voit auréolé d’un statut d’incarnation du cinéma indépendant américain vaguement mélancolique, s’appuyant sur une bande originale ultra cool (et pour laquelle il reçoit d’ailleurs un Grammy Award).
Mais dix années c’est long, et ce pan du cinéma indépendant US n’a cessé de faire des petits depuis. En dépit d’une campagne de crowdfunding qui a cartonné (Zach Braff a rassemblé le budget pour LE RÔLE DE MA VIE via la plateforme Kickstarter, où les internautes du monde entier sont invités à participer au financement du film, y compris en donnant de toutes petites sommes), LE RÔLE DE MA VIE butte justement dans cette obsession à peine voilée de vouloir imposer à son film un esprit décalé.
Alors du coup, on ne nous épargne aucun cliché du genre, à commencer par une bande originale inévitablement trendy de Bon Iver à The Shins en passant par Cat Power et Badly Drawn Boy, on a l’impression d’écouter la compilation du dernier PrimaveraSound Festival ou de l’ATP Festival. Et puis il y a cette histoire qui nous est racontée, cet enchaînement de questionnements sur la vie, l’amour, la famille, la mort, où là aussi, on n’échappe pas à de vraies lourdeurs (le père juif qui se sait mourant et qui veut faire la paix avec ses fils avant de partir ; l’acteur raté qui aspire coûte que coûte à réaliser son rêve, mais qui se dit quand même que faire vivre ses enfants avec si peu de revenus c’est compliqué ; le frère cadet très geek et en froid avec son père ; l’épouse délaissée ; etc …).
Trop cliché, trop prévisible, trop nombriliste, LE RÔLE DE MA VIE finit par devenir à force franchement agaçant, resservant les mêmes poncifs que bien d’autres réalisateurs ont largement éculé depuis déjà de nombreuses années. Avec ses petites recettes toutes faites, Zach Braff semble malheureusement être aujourd’hui loin de cette coolitude affichée. Certains (probablement certaines) se laisseront peut-être encore prendre au jeu de cette mélancolie pas bien méchante et de ces leçons de vie bien pensantes (« Croire en son rêve », « Aller de l’avant », « Faire le bien autour de soi », …).
Mais faute de finesse, de tact et d’un tant soit peu de discernement, LE RÔLE DE MA VIE ressemble à une discussion entre copines sur les banalités de la vie, le genre de conversation qui donne l’impression que tout ira bien après, alors qu’elle n’a pas fait avancer les choses d’un micro millimètre.
Et puis l’autre grosse épine dans le pied de ce film, c’est son communautarisme omniprésent et réellement lourdingue. Zach Braff est juif, la religion est très présente dans son long-métrage et visiblement aussi dans sa vie, la plupart des acteurs de son casting sont de cette même confession, et de nombreuses scènes dans LE RÔLE DE MA VIE sont des interrogations directes sur ce que c’est que d’être un bon père juif.
Le problème, c’est que Braff ne questionne pas sa religion mais se questionne lui-même en tant que juif. Terriblement exclusif pour le spectateur qui n’est pas concerné par cette communauté (et avouons que ça fait tout de même quelques personnes), voire le spectateur qui tout simplement s’en fout, LE RÔLE DE MA VIE se révèle au fur et à mesure être un film totalement replié sur lui-même, et résolument trop marqué par l’empreinte de sa religion. À aucun moment Zach Braff ne réussit à prendre de la hauteur et de la distance pour apporter une dimension un peu universelle à son propos.
Enfilant les perles du feel-good movie de manière assez grossière, LE RÔLE DE MA VIE se montre certes attachant par moments (et sur ce point, on apprécie surtout la prestation d’une Kate Hudson solaire, qui retrouve enfin un rôle intéressant et à sa hauteur), mais reste dans son ensemble un ego trip bourré de banalités sur la vie.
Zach Braff n’a vraisemblablement pas vu le temps s’écouler depuis le succès de son tout premier film comme réalisateur, et n’a surtout pas l’air d’avoir beaucoup regardé ce qui c’était passé dans le cinéma indépendant pendant ces années. Dommage car le spectateur, lui, il l’a vu.
LE RÔLE DE MA VIE, sortie en France le 13 août 2014.
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Page Facebook France LE RÔLE DE MA VIE.
Article rédigé par Elle.
4 réponses sur « LE RÔLE DE MA VIE (WISH I WAS HERE) : l’excès de coolitude de Zach Braff »
Je trouve votre jugement assez juste bien qu’un poil trop sévère.
Certains des éléments, attendus, espérés, qui faisait le charme du premier long de Z. Braff sont bien là et constituent les moments forts de ce second film. Sauf que certaines idées, biens gentilles mais beaucoup trop banales sont assénées plutôt lourdement, comme imposées aussi bien aux personnages qu’aux spectateurs. Il faut tout le talent des acteurs, en particulier de la charmante K. Hudson, pour savoir tirer de l’émotion de ces textes en gras. Ratage et déception relatif, espérons que le prochain Braff revienne à un univers plus décalé sur le (non)sens de la vie qu’avec ces poncifs, et dans moins de 3 ans svp.
Hello kub57,
Merci de ton retour sur le film de Zach Braff.
C’est vrai que notre jugement est un peu sévère, on te l’accorde. Mais disons que les éléments qui nous ont agacé, ont fini par prendre le dessus sur ceux qui nous avaient touché (car oui comme toi, il y a des moments où le film est inévitablement touchant, c’est vrai).
Tu fais bien de souligner le manque de subtilité des textes, je trouve aussi qu’ils plombent bien souvent le film.
Plutôt d’accord avec votre critique, même si je la trouve moi aussi un peu dure!
Mais il est vrai que là où « Garden State » (qui m’avait littéralement enchanté à l’époque) faisait preuve de justesse, d’inventivité et de sensibilité, ce « Rôle de ma vie » m’a paru recourir trop souvent à de grosses ficelles bien usées…
Certes il y a de bonnes scènes, de jolis moments, des clins d’oeil amusants, mais je n’ai jamais complètement réussi à entrer dans l’histoire. J’ai trouvé que Zach Braff tournait trop autour de son nombril et qu’il cédait souvent à la facilité: personnages assez caricaturaux (le frère geek enfermé dans sa caravane et fan de comics, please!), leçons de vie dégoulinant de bonnes intentions ou procédés de mise en scène vus et revus (notamment les passages compilant divers saynètes sur fond de bonne chanson indé qui va bien, mouais, I don’t buy it). Pour moi, la magie n’a pas opéré comme il y a dix ans, dommage. En revanche, un bon point pour l’interprétation, en particulier de Kate Hudson, rayonnante, et de Joey King (qui joue la fille du couple), toute jeune et déjà convaincante.
Bonjour Hugo33,
Merci mille fois de cet avis très complet sur le film 🙂
Tu fais bien de mentionner la jeune Joey King qui est effectivement adorable et attachante, et qui fait partie des réussites du film : elle apporte de la fraîcheur et de la spontanéité à cette histoire où les ficelles sont bien trop grosses, on est d’accord.
Au plaisir de te lire à nouveau sur notre Blog, merci encore ! 😉